Coeur de cerf

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Il apparut dans ma vie comme un soleil sur la mer. Longtemps, son visage fut mon tout premier souvenir, le premier rayon dans la longue nuit d’oubli. Une chaleur féroce martelait la route plate; j’avais marché jusqu’à l’épuisement avant de m’effondrer sur le bas-côté. Mon esprit errait dans le blanc. La poussière m’emplissait la bouche, chassant jusqu’au souvenir de l’eau, et je n’avais plus faim. On dit que la faim disparaît après plusieurs jours, mais elle revient, par cycles, creusant des cavités d’angoisse de plus en plus larges. Quand il me trouva, j’avais abandonné.

Quelque chose se mit à peser doucement sur mon épaule, semblable au museau hésitant d’un animal curieux. « Madame… Vous ne pouvez pas rester sous cette fournaise. Il faut vous abriter. Madame… » La ritournelle zonzonnait dans mes oreilles comme un criquet têtu. Elle m’arracha au néant. Quand j’ouvris les yeux, je rencontrai ses prunelles noisette, claires et préoccupées. Il avait des traits réguliers, une voix grave ; il insistait pour que je ne me rendorme pas.

La crainte des soldats kétas me saisit au collet. Liu, donne ton laissez-passer, Liu, ta place est là-bas, Liu, dépêche-toi. Mais l’homme accroupi en face de moi était de mon peuple. Je pris conscience de sa présence en même temps que de mon corps et du monde qui m’entourait. Soif. Cailloux. Douleurs. Une forêt dense, une carriole chargée de marchandises, un ciel bleu immaculé. Il glissa son bras dans mon dos : « Je vous aide à vous lever ? » C’est ainsi que je me souvins que j’étais assise.